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divers sujets : personnels, histoire, littérature

La "drave" en Touraine ...

C'est à ma connaissance une activité dont on n'a pas ou peu parlé en Touraine bien qu'elle fût importante sur le Cher et la basse Loire durant tout un siècle.

Il s'agit du flottage du bois, ce qu'on appelle dans le Nouveau Monde et en particulier au Québec la "drave" (déformation de l'anglais to drive : diriger) qui a si bien inspiré des chanteurs-poètes comme Félix LECLERC et des romanciers comme Félix Antoine SAVARD avec son "Menaud maître draveur" pour ne citer que ces deux noms et c'est par eux d'ailleurs que la majorité des Français (dont je fais partie) en ont entendu parler. 

 

Cette activité en Touraine fut liée à la forêt de Tronçais dans l'Allier à proximité des sources du Cher à Mérinchal (Creuse).

 

C'est Colbert qui en 1670 décida de réaménager cette célèbre forêt et de la replanter en chênes pour les besoins de la Marine Royale et ses chantiers de construction navale de Nantes.  

La voie fluviale était toute indiquée pour acheminer les troncs par le Cher jusqu'à Savonnières où il se jette dans la Loire et de là jusqu'à Nantes. 

 

Le Cher (appelé Caris par Grégoire de Tours) est long de 365 Kms prenant sa source à 714 mètres d'alitude à Mérinchal sur le plateau de Combrailles dans le département de la Creuse.

A partir de là, son cours passe par 7 autres départements.  Il érafle d'abord la partie extrême Nord-Ouest du Puy de Dôme à Château-sur-Cher à 468 mètres d'altitude, avant d'entrer dans l'Allier arrosant Montluçon, puis dans le Cher arrosant Vierzon et Epineuil le Fleuriel village d'enfance d'Alain Fournier où se situe son roman le Grand Maulne, le Loiret (Vitry-aux-Loges), puis le Loir et Cher arrosant Chissay en Touraine, Montrichard, Saint Aignan, Saint Georges sur Cher, Selles sur Cher, l'Indre (Chabris) et enfin l'Indre et Loire y arrosant 22 communes la dernière étant celle de Savonnières à proximité de laquelle il rejoint la Loire.

Son confluent se situait autrefois plus en aval qu'actuellement et ce qu'il reste de son ancien lit appelé Vieux Cher est toujours visible passant à Pont Cher.

 

                                            -oOo-

 

Mais avant de poursuivre sur le sujet, revenons aux origines de ce moyen de transport (de "voiture" comme on disait autrefois). 

 

Le flottage du bois pour l'amener d'un point à un autre était déjà connu dans l'Antiquité comme en attestent des bas-reliefs assyriens du VIIème siècle avant J.C  et des fresques égyptiennes (bottes de roseaux).

Dans la Bible (A.T.) au Livre des Rois, on peut lire que le roi Salomon commanda au roi Hiram de Tyr des troncs de cèdre pour la construction du Temple de Jérusalem à lui faire parvenir jusqu'au port de Yapho (Jaffa).  Ce n'est pas précisé mais on peut fort bien imaginer qu'Hiram les fit descendre des hauteurs du Liban par le fleuve Litani jusqu'à la mer.  Or l'embouchure du Litani se trouve juste un peu au nord du port de Tyr.  De l'embouchure jusqu'à ce port il n'y avait pas loin pour les y amener et de là les charger sur des bateaux.  

 

Au Moyen Age, le bois d’œuvre et de chauffe qui au début abondait autour des grandes villes grâce aux forêts se fit peu à peu plus rare du fait de l'accroissement de la population et donc des constructions ayant entraîné une surexploitation de ces forêts.  De sorte qu'il fallut bientôt aller le chercher plus loin.  Or le réseau des routes et chemins était encore peu dense et en mauvais état surtout par mauvais temps. D'où le recours aux voies d'eau (rivières, fleuves) pour l'acheminer sur place ou à proximité.

 

En France le flottage démarra au XVIème siècle sous Henri IV dans le Nivernais (Clamecy) depuis les forêts du Morvan pour approvisionner la ville de Paris  et se généralisa peu à peu dans les autres régions.

 

Mais c'est surtout au XVIIIème siècle sous Colbert, Ministre de la Marine de Louis XIV que le flottage des bois allait prendre sa pleine extension.

"La quantité de bois que le Roi fait abattre en Bourgogne et qu'il recherche en Dauphiné et en tous les endroits de son royaume fera voir sa puissance et le rendra redoutable en tous les endroits du monde où son étendard paraîtra. La voiture des rivières est la plus commode, plus facile et moins coûteuse."

Voici ce qu'écrivait Antoine de Monchrétien, sieur de Vasteville, né à Falaise en 1575, tué à la bataille des Tourailles en 1621.  Il était à la fois poète, dramaturge et économiste précurseur du "colbertisme". Certains historiens le considère même comme le père de l'économie politique.

Ce qui donne clairement à penser que le Roi de France songeait à développer sa Marine pour intensifier les échanges maritimes. 

 

Déjà entamé par Richelieu, le renouvellement de la Marine fut poursuivi très activement par Colbert et son secrétaire d’État à la Marine Louis Phélypeau de Pontchartrain réclamant un approvisionnement en bois de charpente de plus en plus important. D'où une exploration tout azimut des sites d'abattage et la recherche de toutes les voies d'eau possibles pour l'acheminement.

 

Durant le Grand siècle et celui des Lumières, la Loire "voiturait" les troupes, l'artillerie mais aussi les bois à destination des arsenaux de l'Ouest de la France. La "basse Loire" constituait un axe d'échanges militaires entre le Maine et l'Océan malgré ses périodes d'étiage. 

 

 

Même si la France ne put supplanter l'Angleterre pour la maîtrise des mers (Rule Britannia, Britannia rule the waves ...) ses efforts furent considérables pour la placer à un niveau élevé, un grand chantier de plus de 150 ans.

Chantier grand dévoreur de bois. 

 

De Pontchartrain fit prospecter les rivières encore mal exploitées pour les rendre propres au flottage entre autre les forêts de la Haute-Auvergne comme en témoigne ce rapport :

"En conséquence de l'ordre de Monseigneur le comte de Pontchartrain, ministre et secrétaire d’État, en date du 11 février dernier par lequel il nous est ordonné de nous transporter dans les montagnes de la Haute-Auvergne pour examiner et faire notre rapport de l'état des rivières  et ruisseaux par lesquels  on pourroit conduire dans les ports les arbres de sapin qui se trouvent dans les forêts de ces montagnes et qui sont propres pour la mâture des vaisseaux du Roi. "

(NB - Tout le reste du bateau était en bois de chêne exclusivement.  Le mât en bois de sapin plus vulnérable pouvait être changé)

 

Ceci étant dit, revenons-en plus précisément sur le flottage des bois sur le Cher.

 

Pour cet article j'ai puisé notamment dans celui de Valérie MAURET-CRIBELLIER intitulé "Le flottage des bois sur la rivière du Cher - XVIIIème/XIXème siècle" paru dans Supplément à la Revue Archéologique du Centre de la France année 2013. 

Titulaire d'une maîtrise en histoire de l'art (Paris X 1991) elle est l'auteure d' "Histoire et Archéologie d'un cours d'eau" et de plusieurs ouvrages sur les canaux du Centre de la France (Briare, du Berry, de la Sauldre, Latéral à la Loire).

 

La forêt de Tronçais -

Pour que Colbert s'y soit tout particulièrement intéressé pour les besoins de la Marine royale, elle ne pouvait être qu'une forêt d'exception. 

Elle  représente en fait trois cents ans d'Histoire.   

Elle se situe au Nord-Ouest du département de l'Allier, ancienne province du Bourbonnais.  Elle couvre onze mille hectares abritant des chênes de première qualité dont certains plusieurs fois centenaires.  C'est le plus beau massif forestier de France et la plus belle futaie de chênes d'Europe.

Elle était autrefois la propriété des ducs de Bourbon mais devint celle de l’État sous François Ier. 

Comme vu plus haut Colbert la rénova et la reboisa pour créer une réserve de bois pour les chantiers de marine. 

De nos jours la futaie Colbert est une parcelle de treize hectares issue d'une régénération datant de la fin du XVIIème siècle.  

Lors de la première révolution industrielle, la forêt fut considérablement entaillée pour fournir du bois aux forges de Sologne et Morat établies par l'industriel lorrain Nicolas Raimbourg.  Celui-ci fit aussi creuser des étangs pour les alimenter en énergie hydraulique. 

De nos jours les chênes de Tronçais sont utilisés pour fabriquer les fûts de Cognac ou de grands crûs mais aussi l'ébénisterie.

 

Le haut cours du Cher est d'abord torrentiel et sinueux et c'est sans doute un peu plus en aval que commençaient les "eaux marchandes" (ou flottables) comme on disait à l'époque. On peut penser que c'était à hauteur de l'agglomération de Meaulne-Vitray qui se trouve à quelques kilomètres de la forêt de Tronçais. 

 

Le flottage -

Celui-ci se pratiquait au printemps et en automne autrement dit aux plus hautes eaux. 

Les premiers essais de flottage du bois en France remonteraient à la fin du XVème siècle sur la rivière l'Andelle affluent de la Seine  dans le département de l'Eure et aussi sur l'Yonne.  Flottage à "bûches perdues" (ou merrains) comme on disait c'est à dire qu'elles étaient lâchées dûment marquées dans le flot et abandonnées au courant.  Évidemment cette opération ne se renouvelait que lorsque toutes étaient parvenues à destination et récupérées par l'acheteur. Les rives devaient donc être surveillées pour dégager et remettre dans le flot les troncs qui pouvaient y rester coincés.   

Mais par la suite on améliora la technique primaire en assemblant les troncs par trains que devaient diriger deux "flotteurs" un à chaque bout,  l'équivalent des "draveurs" québécois  sauf qu'ils n'avaient pas à faire comme eux à des eaux torrentueuses et rapides mais à un courant qu'il suffisait utiliser.   Si la préparation du "train" de bois demandait du temps, on en récupérait beaucoup dans la navigation et l'on pouvait aussi en envoyer à intervalle beaucoup plus réduit.

 

Entre Montluçon et Nassigny (Allier) il semble que le Cher ne recevait que des merrains (bûches perdues) mais qu'entre Nassigny et Vierzon (Cher) il recevait aussi des radeaux de bois de construction.  En aval de Vierzon seuls les trains de bois de marine et autre pouvaient naviguer.

Vierzon était un centre de triage où les bois étaient tirés de l'eau, triés au moyen des marques et séchés avant d'être assemblés en trains pour continuer vers le "bas Cher" et la "basse Loire".

Plus tard s'y installa une gare de triage très importante

Un train de bois formait un ensemble de 40 à 45 mètres de long  sur 5 à 6 de large, largeur imposée par la dimension des pertuis à franchir.   Ces trains pouvaient partir groupés selon l'étiage.

 

Le métier de flotteur -

Le flottage des bois faisait appel à divers corps de métiers

Il y avait d'abord les marchands de bois qui achetaient les bois sur pied, les faisaiet exploiter puis les vendaient. 

Les "flotteurs" c'est à dire ceux qui assemblaient et conduisaient les trains de bois (les "draveurs" au Québec)

Les "pilotes", préposés aux manœuvres lors des passages délicats (pertuis, ponts)

Les "triqueurs" qui séparaient les bois flottés selon leurs marques. 

Bien que beaucoup moins dangereux que celui de "draveur", celui de flotteur n'était pas sans risques.  Un train de bois est bien plus difficile à diriger qu'un bateau, une gabarre, il faut de l'expérience.  En général un ou deux hommes munis de perches et de rames suffisaient tandis qu'un troisième (le pilote) se tenait à l'avant pour surveiller le tirant d'eau et donner des indications aux "flotteurs".

 

 

A partir de la seconde moitié du XIXème siècle, quelques trains de bois descendaient encore le Cher mais il semblerait qu'ils ne concernaient plus la Marine. 

Ils perdurèrent pourtant jusqu'au début du XXème siècle. 

 

L'auteure nous signale aussi qu'à la même époque et sur la même voie fluviale que les bois flottés, le sel de Guérande remontait la Loire depuis Nantes, puis le Cher pour être stocké dans des greniers à sel comme il en existait à Vierzon, Selles sur Cher, Montrichard, Bléré avant d'être distribué à la population.  

 

Voici donc pour le flottage sur le Cher et la place importante qu'il occupa.

 

 

                                        -oOo-

 

 

Cependant il n'égala jamais celui sur l'Yonne puis la Seine depuis les forêts du Morvan.  

La ville de Clamecy dans la Nièvre que traverse l'Yonne en fut le centre. 

De par son débit et sa direction, cette rivière prenant sa source au cœur du Morvan et ses forêts  ne pouvait que jouer un rôle capital pour l'approvisionnement de Paris tant en bois de chauffe qu'en celui de construction (et aussi en vin de Bourgogne).  Et ce depuis le Moyen Age jusqu'à l'avènement du chemin de fer. 

 

Pour la petite histoire, le 7 Juin 2015, un train de bois de 72 mètres de long reconstitué par une association de bénévoles est parti de Clamecy  pour Paris où il arriva au Port de Bercy le 5 juillet, guidé par des flotteurs et un pilote en tenue d'époque. Un évènement qui dépassa largement les limites du Morvan.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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