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divers sujets : personnels, histoire, littérature

Achille Knapen ou une histoire de rosée

Je dédie cet article à mon beau-frère qui fut lui-même ingénieur et belge.

                                                  ---oOo---

 

"La rosée tombée

la rosée tombée wayo

la rosée tombée waya

Tomb' dessus mon tête

(vieille chanson créole de l'île de la Réunion)

 

C'est en effet d'une histoire de rosée dont je vais parler.  Cette rosée que les Grecs appelaient "larmes d'Aphrodite" qu'elle avait versées sur son amour blessé pour Adonis, déesse symbolisée par la rose blanche représentant la beauté et l'amour.

Quoi de plus merveilleux en effet que de contempler au jardin les roses (blanches ou rouges) perlées de la rosée du matin ?

 

 

Le nom d'Achille KNAPEN ne doit guère être connu du commun des mortels en France mis à part les habitants et les gens de passage au petit village de Trans en Provence (département du Var) où l'intéressé vécut un certain temps pour y mourir en 1941 et où il est enterré.

Il était né en 1860 à Mons en Belgique, ingénieur civil de profession doublé d'un inventeur.  Mais de ces ingénieurs que l'on disait à l'époque "hygiénistes".  Pourquoi ? Parce que cherchant à guérir les constructions des méfaits de l'humidité notamment des murs et en même temps préserver la santé des occupants.  De même Knapen s'ingénia à évacuer l'air vicié des locaux par aération automatique naturelle, à renouveler l'air dans les sous-sols, les caves, les cales des navires.  Il a d'ailleurs laissé son nom à ce procédé dit "de Knapen".  Grâce à cela, il participa au sauvetage de monuments historiques comme les fresques de la Chaise-Dieu en Haute Loire, intervenant aussi au château de Versailles et au Louvre.  Ses dispositifs sont encore visibles parait il sur le bâtiment de l'Académie Française (la Coupole). Pour cela on le surnomma le médecin des pierres.

Mais il est une autre invention qu'il mit en application dans le petit village varois de Trans en Provence précité s'agissant du puits aérien unique en Europe qu'il y fit construire en 1931. "Faire de l'eau avec la nuit", tel était l'idée de Knapen pour récupérer la rosée.

Trans en Provence se  trouve à 280 mètres d'altitude à l'entrée des gorges de la Nartuby, un affluent de l'Argens lequel se jette dans la Méditerranée près de Fréjus.  L'ingénieur Knapen misait là sur des écarts thermiques importants l'été entre température diurne et nocturne mais qu'en fait il surestima ce qui compromit les résultats  qu'il attendait de son invention.

De l'extérieur, ce puits aérien se présente comme une énorme cloche ou ruche ou encore colombier à cause de toutes ses alvéoles (voir photo ci-dessous).

D'une hauteur de 12 mètres et autant de diamètre à sa base et de 2,50 mètres d'épaisseur, constitué de blocs de calcaire assemblés en pierres apparentes, cette première structure est percée de sept rangées d'ouvertures sur toute sa circonférence faisant entrer et sortir l'air.

 

 

Au centre de cette structure externe s'en trouve une autre  faite de porphyre et de mortier, écartée de la paroi interne de la "coquille" externe mais en épousant la forme, elle même percée sur toute sa surface de tubes poreux et comportant en son centre un puits cylindrique d'un mètre de diamètre pour 9 mètres de haut. Au centre de ce puits un tube métallique vertical de 30 cm  de diamètre non planté dans le sol descend depuis le haut de la structure externe qu'il dépasse de 50 cm.

 

Dès lors le principe de fonctionnement de ce condenseur est simple.

Durant la nuit, l'air froid entre par le haut du tuyau métallique et se répand dans toute la structure en la refroidissant et s'évacue par les deux rangées inférieures d'ouvertures. Pendant le jour, l'air chaud pénètre par les 5 rangées supérieures  et au contact des surfaces internes froides la vapeur d'eau contenue dans l'air se dépose sur les parois pour se transformer peu à peu en eau laquelle ruisselle dans la citerne ménagée sous l'édifice tandis que l'air sec s'évacue par les deux rangées d'ouvertures inférieures de la coquille (voir schéma ci-dessous).

 

Achille Knapen's Air Well: From Ancient Greek Mounds to Dew Condensers ...

  

Notre inventeur espérait ainsi obtenir plusieurs milliers de litres d'eau par jour.  La réalité fut tout autre : aux meilleurs jours un seau de 10 litres !  Mais il y avait deux raisons à cet échec : la taille surdimensionnée du condensateur ne laissant pas à celui ci le temps de se refroidir suffisamment la nuit d'une part et d'autre part des écarts de températures s'avérant beaucoup trop faibles.  Implanté dans un désert, ces résultats auraient été bien différents.

 

Je ne suis pas un scientifique mais je m'étonne que Knapen n'y ait pas pensé avant. Il semblerait qu'il se soit basé sur l'étude qu'avait déjà faite l'ingénieur allemand Friedrich Zibold après avoir visité le site de l'antique cité de Théodosie (ou Féodosia) sur la mer Noire dans l'actuelle Crimée.  Elle s'appelait Caffa au VIème siècle avant J.C. On y aurait découvert les vestiges d'un système d'alimentation en eau potable par récupération de la rosée (tuyaux de terre cuite entourant des tas de pierres) et Zibold avait voulu en faire la démonstration mais sans y parvenir.  On a aussi parlé d'une légende. Peut-être était ce le cas en cette époque (VIème siècle avant J.C.)  mais plus tard, ce qui est avéré, entre les IIIème siècle avant J.C. et IIème siècle après, les Nabatéens ont bel et bien utilisé un système de récupération de la rosée dans le désert du Néguev en Israël comme on l'a découvert sur les sites d'Avdat et de Shivta notamment sans parler de Halutza et Mamshit. Ces villes importantes comptant plusieurs milliers d'habitants permanents (sans parler du passage des caravanes venues du Yémen, escales sur la route de l'encens) n'auraient pu surgir ainsi en plein désert, s'entourer de cultures et prospérer autrement qu'avec une parfaite maîtrise de récupération d'eau de pluies (rares) et de la rosée pour la population comme pour les animaux et les végétaux.  Les énormes citernes recueillant l'eau de ruissellement en témoignent dans les deux villes pré citées. S'agissant de la rosée, la question est plus subtile.

 

Au cours de l'été 1964, séjournant en Israël, j'avais eu l'occasion de visiter les deux sites pré cités d'Avdat et de Shifta sur la route menant à Elath. 

A Avdat, un vieil homme barbu, vêtu et chapeauté de noir, faisait office de guide aux éventuels visiteurs.  Partie en mauvais anglais et partie en yiddish, il était bien difficile de le suivre dans ses explications.  Mais Véra, une touriste suissesse de rencontre qui m'accompagnait depuis Beersheva, connaissait aussi l'Allemand (elle était de Zurich) or le yiddish comporte beaucoup de mots de racine allemande voire allemands carrément ce qui pouvait l'aider et c'était heureux car cet homme savait beaucoup de choses  visiblement. Son regard au milieu d'un visage buriné brillait d'intelligence. Il put donc se faire comprendre, approximativement, y compris en nous traçant des croquis sur le sable.  

Il nous expliqua donc la technique de récupération de la rosée pour les cultures appliquée par les Nabatéens, peuple arabe commerçant de l'Antiquité dont Petra (en Jordanie actuelle) devint la capitale.

Les plants étaient entourées de pierres espacées et disposées en forme de cloche pour laisser passer l'air (rappelant la forme du puits aérien de Knapen en fait). Ces pierres surchauffées le jour se refroidissaient rapidement durant la nuit et la forte condensation faisait suinter l'eau sur les plants et les humectait.  Système du goutte à goutte en somme.  La température diurne du Néguev peut dépasser les 35 degrés mais descendre de trente degrés durant la nuit, selon la saison. Or on en était très très loin à Trans en Provence !... Et Knapen ne pouvait l'ignorer.

 

Quant aux pluies, il en tombe en moyenne deux cents millimètres par an. Les recueillir au maximum a toujours été le souci de sa population.

 

Avec les moyens modernes, Israël a pu forer des puits de grande profondeur et trouver de l'eau en certains endroits du Néguev et y développer ainsi l'agriculture.

 

Démantelées par les Arabes puis détruites peu à peu par le temps, leurs ruines ocrées se confondant avec le paysage environnant, ces villes nabatéennes puis byzantines ont fait place aujourd'hui à des kibbutzim  comme Kfar Aza, Révivim, Nahal Oz, Hatzerim.  

 

Dans le Talmud neguev est traduit par sec mais dans l'Ancien Testament par Sud et en effet ce territoire se trouvait le plus au sud d'Israël. A l'époque on l'appelait Palestina tertia par opposition à Palestina Prima et Secunda pour sa partie Nord et Centre.  Les Croisés la désignaient parfois par Outre-Jourdain ce qui n'était pas logique à moins qu'il le considérait comme étant au sud de la Mer Morte dans laquelle se jette le Jourdain, au delà du cours du Jourdain.   

 

La maitrise de l'eau avait été le souci premier du jeune état d'Israël et celui d'en exploiter toutes les sources possibles : eaux de pluie, eaux du Jourdain, puits profonds du Néguev, voire désalinisation de l'eau de mer dont la technique fut trouvée par des ingénieurs israéliens. 

 

L'aridité du Néguev est d'ailleurs variable selon la hauteur moyenne annuelle de pluie qui peut descendre de 250 mm maxi au Nord (sud de Beer-Shev'a) jusqu'à 50mm au sud.  

Certains hivers les oueds (très nombreux) peuvent déborder en crues torrentielles provenant des pluies tombant sur les montagne de Judée à plusieurs centaines de Kms de là.  D'ailleurs dans les Psaumes il est fait mention de cela : "comme les torrents du Néguev" évoquant le retour des Juifs à Sion.

De plus la rosée y est très abondante du fait de l'amplitude des températures diurne/nocturne.

David Ben Gourion, père fondateur de l'Etat d'Israël qui vécut et finit sa vie au kibbutz Sde Boker (champ du matin) avait déclaré qu'en grande partie l'avenir du jeune état se jouerai dans le désert du Néguev car occupant plus de la moitié du territoire national : "le désert refleurira". Et il fut prophète.

Et pour en revenir au recueil de la rosée par les Nabatéens pour humecter les jeunes pousses, le kibbutz Revivim proche des ruines d'Avdat s'en était souvenu car revivim signifie en héébreu gouttes de rosée précisément.

 

Du temps où je visitai le Néguev et aujourd'hui cela fait 60 ans, 76 ans depuis la fondation de l'Etat d'Israël !

 

Ces sites antiques que j'ai cités étaient alors très peu fréquentés mis à part les Israéliens eux-mêmes férus d'archéologie mais cela mis à part je ne m'y retrouverais plus aujourd'hui tant les réalisations agricoles et technologiques de tous ordres y ont fleuri et des plus modernes.

 

La population a suivi bien entendu atteignant aujourd'hui plus de 700.000 habitants et s'accroit encore et de plus en plus jeune. Elle n'est plus l'apanage des nomades bédouins comme c'était encore le cas en 1964.

 

Le désert fleurira ... (David Ben Gourion) oui.

Cultures au sol et sous serres (la plus petite tomate dite "cerise" est israélienne mais pas seulement cette qualité), palmeraies, vergers, vignobles (on a retrouvé à Shivta des restes de pressoir attestant que les Nabatéens cultivaient déjà la vigne). Le domaine Nana produit chaque année entre 15 et 20 mille bouteilles de chardonnay et cabernet sauvignon (voir ci-dessous)

Mais la technologie est aussi présente dans le désert.

 

C'était le défi israélien de Ben Gourion nous l'avons vu et qui a été relevé bien au delà de ce qu'il pouvait imaginer.  

 

Nana | Vinilu

vin du Néguev (blanc, rouge et rosé)

 

 

NB - Concernant la route de l'encens et les villes nabatéennes du Néguev voir sur OVERBLOG (Latitude 21°5 Sud) l'article "Sur la route de l'encens" (année 2010)

 

 

 

 

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