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divers sujets : personnels, histoire, littérature

Les prisons du Général

Avant que n'éclate la seconde guerre mondiale, Charles de Gaulle était un officier supérieur dont on ne parlait pas en dehors des milieux militaires. 

Il arrivait à la cinquantaine mais non sans que sa carrière ait déja été bien remplie.

Or de cette période on ne savait pas grand chose  avant que des historiens-chercheurs ne s'y intéressent vraiment comme Frédérique Neau-Dufour, professeur d'Histoire, chargée de recherches à la Fondation Charles de Gaulle avec sa publication en 2013 de "La première guerre mondiale de Charles de Gaulle", Alain Lebougre, avocat de profession, secrétaire général de la Fondation Charles de Gaulle et chercheur à l'Institut éponyme, auteur d'une publication parue en 2000 intitulée "Les cinq évasions du capitaine de Gaulle" et,  plus récemment (à partir de 2015) la parution en quatre tomes du Charles de Gaulle en bandes dessinées de Jean-Yves Le Naour (historien, spécialiste des deux guerres mondiales) pour le texte et Claude Plumail pour l'illustration et dont le premier tome s'intitule "Le prisonnier  1916-1921"

De Gaulle dans la première guerre mondiale avec  "ses prisons" et ses tentatives d'évasion a donc été pour moi un sujet de grand intérêt d'où cet article.

C'était déjà le "grand Charles" de par la taille (1 mètre 92) qui, à cause d'elle mais pas seulement, ne passait déjà pas inaperçu. 

A la déclaration de guerre 14/18, de Gaulle était lieutenant sorti de Saint-Cyr affecté à un régiment d'infanterie à Arras commandé par le colonel Philippe Pétain.  

Il fut mobilisé comme ses frères (Xavier, Jacques et Pierre) en tant qu'officier.

Il participa à la bataille de Dinant (Belgique) en Août 1914 où il fut touché à la jambe (fracture du péroné) en défendant un pont sur la Meuse où fut apposée par la suite une plaque commémorative.

Ce fut là son baptême du feu.

Dans une lettre à sa famille, le jeune de Gaulle âgé de vingt cinq ans se livre notamment sur la peur qui fut la sienne mais qu'il dût maitriser et ne montrer à aucun prix.  Un aveu qui nous touche venant de l'homme qu'il allait devenir.  Il n'en reconnait pas moins une faiblesse de sa part, la première sans doute dans la cuirasse qu'il allait se forger.  

Etant enfant, le petit Charles rêvait d'une fin glorieuse à la tête de ses hommes inspiré par des lectures, des modèles de héros.  Déjà pointait l'âme du "connétable" (sic Winston Churchill). 

Il rejoignit le front de Champagne en tant que capitaine pour y commander une compagnie et fut une nouvelle fois blessé à la main gauche à Mesnil lès Hurlus (Marne).

Le 2 mars 1916 son régiment fut violemment attaqué en défendant le village de Douaumont près de Verdun, il y fut décimé et les survivants encerclés tentèrent une percée au cours de laquelle de Gaulle blessé pour la troisième fois allait être capturé.

Or les circonstances de cette capture ont fait l'objet de plusieurs versions. 

Et d'abord, capture ou reddition ?

Car deux témoignages, l'un français l'autre allemand, font état d'une reddition. 

Selon un ancien combattant français ayant été à ce moment là sous les ordres du capitaine de Gaulle et alors qu'ils se trouvaient quelques rescapés dans une position intenable, celui-ci aurait fait hisser un chiffon blanc.  

Un officier allemand ayant été de la bataille aurait affirmé avoir capturé le capitaine de Gaulle, sans parler de blessure, après avoir vu apparaitre à la sortie d'un trou un tissu blanc accroché à une baïonette au bout d'un fusil.  Il avait alors ordonné le cessez le feu et avait vu sortir quelques hommes dont celui qui les commandait de très haute taille et qui lui parut hagard et chancelant.  

De Gaulle en aurait eu connaissance mais aurait démenti sans en "faire une histoire". 

Mais voyons maintenant et en ses propres termes le récit de sa capture fait à son supérieur le lieutenant-colonel Bout'hors en décembre 1918 "

???... L'un d'eux (Allemands) m'envoya un coup de baïonnette qui traversa de part en part mon porte-carte et me blessa à la cuisse.  Je restai un moment sur le carreau.  Puis les Boches me voyant blessé me firent retourner d'où je venais et où je les (les Allemands) trouvai installés."

C'est bref et assez évasif.  

Dans quelle situation se trouvait il exactement au moment où il reçut le coup de baïonnette ? Encerclé lui et ses hommes, refusa-t'il avec  la hauteur et brusquerie qu'il affichait déjà qu'on posât la main sur lui entrainant le geste du soldat allemand ?

Il dit être resté un moment sur le carreau, sonné sans doute, mais pas inconscient, apparemment. 

Les Boches, le voyant blessé, le font retourner d'où il venait ... doit-on entendre par là le dernier poste de commandement d'où était partie la tentative de percée des encerclés ?  Poste déjà occupé par les Allemands évidemment qui font de Gaulle prisonnier et se chargent de lui pour l'hopital.

Mais, du fait même du manque de précisions dans le récit de l'intéressé, des historiens se sont crus autorisés (comme aurait dit Coluche !)  d'en donner plusieurs versions. 

Une version courante est que, dans cette tentative de percée, la violence du combat l'aurait obligé pour se protéger à sauter dans un trou d'obus mais les Allemands l'ayant vu l'y suivirent et le neutralisèrent d'un coup de baïonnette dans la cuisse gauche, avant de le faire prisonnier.

Mais voyons ce qu'en dit cette plaque commémorative le concernant à Douaumont qui reprend en fait sa citation dans l'ordre de la Légion d'Honneur :

" Charles de Gaulle, capitaine de réserve, commandant la 10ème compagnie du 33ème Régiment d'Infanterie  à Douaumont le 2 Mars 1916, sous un effroyable bombardement alors que l'ennemi avait percé la ligne et attaqué sa compagnie de toutes parts, a organisé après un corps à corps farouche un îlot de résistance où tous se sont battus jusqu'à ce que fussent dépensées les munitions, fracassés les fusils et tombés les défenseurs désarmés ; bien que très grièvement blessé d'un coup de baïonnette a continué à être l'âme de la défense jusqu'à ce qu'il tombât inanimé sous l'action des gaz."

Bien dans le style de ce genre de prose, assez ampoulé disons.  Mais il y a un fait nouveau : l'action de gaz qui font tomber de Gaulle inanimé.

On peut se demander quand exactement furent lâchés ces gaz par les Allemands ? Etait-ce au tout dernier moment ? On en parle nulle part, ni de masque à gaz.  Etrange que de Gaulle lui-même n'en ait dit mot. 

Une autre version parle d'une grenade qui aurait explosé à ce moment là près de lui et l'aurait étourdi. Nuance. Et qui semble plus vraisemblable.

Et puis le fait qu'ils étaient, selon cette citation, à court de munitions en faisaient des hommes quasi-désarmés (hormis les baïonnettes au bout des fusils). 

Document intéressant, très documenté,  "Les cinq évasions du capitaine de Gaulle"  d'Alain Lebougre qui cite son colonel dans le journal de marche du régiment :

"Progressant par bonds avec ses hommes, D.G. roule dans un trou d'obus occupé par quelques Allemands.  L'un d'eux lui porte un coup de baïonnette.  La lame pénètre au tiers supérieur de la cuisse gauche pour ressortir au tiers moyen de l'autre côté. Il tombe aussitôt, évanoui." 

Nous avons déjà lu ça concernant le trou d'obus (mais qui n'était pas occupé) et quant au coup de baïonnette il contredit ce qu'en dit De Gaulle lui-même. 

On constate donc des divergences quand ce n'est pas des contradictions dans les faits laissant planer un doute sur ce qui s'était réellement passé.

Mais le point commun de ces diverses versions est qu'il n'y eut point reddition.

Il faut savoir qu'en 14/18 se rendre était considéré comme un déshonneur.  Les familles françaises qui avaient un ou plusieurs des leurs au front le voyaient ainsi. C'était un soulagement pour elles que d'apprendre que leur fils, leur fiancé, leur mari avait été fait prisonnier mais ne s'était pas rendu. 

Et quand bien même de Gaulle (qui devait partager ce sentiment) aurait fait lever le drapeau blanc comme suggéré précédemment, il n'y avait point là déshonneur à sauver la vie des quelques hommes qui lui restaient. Il n'y avait plus rien à faire.  C'est tout. 

Mais qu'en pensa-t'il lui-même dans son fors intérieur ?... 

Un échec, certes, mais conséquence d'un déroulement des opérations (qu'il devait critiquer sévèrement d'ailleurs ultérieurement) mais dont il n'était pas le maître.  On peut penser que dès lors germa en lui l'idée d'évasion une fois rétabli, voire une véritable obsession d'évasion, car l'état de prisonnier pour un officier lui était intolérable. Sa capture devait être compensée par son évasion, l'une réhabilitant l'autre en quelque sorte.   

Toujours est-il que, sur le moment, de Gaulle fut déclaré mort au combat ce dont sa famille fut informée. Ce n'est que plus tard par une lettre de lui probablement qu'elle apprit qu'il était vivant. 

Il fut d'abord envoyé à l'hopital de Mayence pour y être soigné avant d'être interné dans un oflag à Osnabrück  (Westphalie) première de "ses prisons"

Il devait en connaitre 7 autres : 

Neisse et Sczucsyn en Lituanie, Ingolstadt  (où il rencontra le futur général Catroux, le Réunionnais Roland Garros et le futur maréchal russe Mickaël Toukhatchevski), Rosenberg, Wülzburg  où se situa sa dernière tentative et Passau en Bavière et enfin Magdebourg (Saxe) où s'achèvera sa détention au bout de trente six mois.

Et, de ces camps et forteresses, pas moins de cinq tentatives d'évasion quasi-rocambolesques faisant de ce jeune homme austère, corseté, un personnage tout à fait romanesque

Un as quoi.

Qui l'eût crû ?  

L'imagination dont il fit preuve dans ses tentatives, son don d'observation, sa débrouillardise aussi, firent l'admiration de ses camarades et l'exaspération de ses geoliers qui ne savaient plus que faire de cette forte tête.

Bien qu'il considérait cette période de sa vie comme une humiliation qu'il n'avait pu "laver" par une évasion réussie qui lui aurait permis de reprendre le combat jusqu'à la fin de la guerre (ce qui d'ailleurs ne lui en faisait pas souhaîter la fin tant que celà), elle lui fut pourtant extrêmement profitable.   

Dans les oflags les prisonniers étaient plutôt bien traités.  Ainsi de Gaulle qui avait appris l'allemand pouvait lire la presse allemande ce qui fut très instructif pour lui sur les évènements extérieurs.  Outre l'ordinaire, ils recevaient des colis. Ils pouvaient tenir des réunions, voire des conférences comme le fit de Gaulle.  Evidemment ses tentatives d'évasion lui valurent à plusieurs reprise le "mitard", jusqu'à soixante jours, sans lecture ni tabac.  

Disposant de beaucoup de temps libre, de Gaulle en profita pour lire énormément sur divers sujets, se cultivant, réfléchissant, mettant ses réflexions par écrit lui fournissant plus tard matière à des livres comme "La Discorde chez l'Ennemi " édité en 1923 sous le nom de Capitaine de Gaulle dans lequel il analyse la défaite de l'Allemagne et conclut que "dans la conduite de la guerre il n'y a pas de système universel mais seulement des circonstances et des exécutants". Cet ouvrage rencontra peu d'écho en fait et les quelques exemplaires vendus le furent principalement à l'Ambassade d'Allemagne. Il en alla différemment pour ses ouvrages suivants ("Le fil de l'Epée", "Vers l'Armée de métier ", " La France et son Armée") dans lesquels il exposait vigoureusement ses idées, ses critiques et ses théories devant le danger que présentait une Allemagne qui déja se réarmait. Il faisait partie de ceux-là qui pensaient que la fin de la guerre 14/18 avec l'Allemagne n'allait être en réalité qu'une trève et qu'elle reprendrait, inévitablement, tôt ou tard. 

Ce fut l'affaire d'une vingtaine d'années.

Pour compenser son inactivité militaire durant sa longue détention en Allemagne (laquelle le faisait douter par moments d'avoir encore un avenir dans l'armée) et après son passage à l'Ecole de guerre, il fit de ses pieds et mains pour être envoyé en mission militaire en Pologne dans le cadre de la guerre russo-polonaise de fév 1919 à Mars 1921, puis au Liban à Beyrouth à l'Etat Major des troupes du Levant où il demeura deux ans avec sa famille. Avec la parution de ses écrits bien que faisant polémique, le faisant même mal voir de certains, il entendait ne pas rester dans l'ombre, promouvoir sa carrière avec en celà l'appui du Maréchal Pétain qui l'avait un peu pris sous son aile jusqu'à faire remonter ses notes qu'il jugeait insuffisantes. Jusque là de Gaulle avait beaucoup d'admiration pour lui.   

Or Pétain briguait l'Académie Française et pour donner plus de poids à sa candidature il voulait sortir un livre.  Reconnaissant la belle plume de De Gaulle, il lui demanda de lui préparer la rédaction d'un ouvrage sur l'histoire du soldat à travers les âges. A la fin de l'année 1927 le livre était prêt mais Pétain voulut le faire retoucher par un autre collaborateur.  De Gaulle du coup protesta vivement et finalement le livre ne sortira pas ce qui n'empêcha pas Pétain d'être élu en 1929 à l'Académie Française succédant au Maréchal Foch et reçu par Paul Valéry.

Dix ans plus tard, de Gaulle réutilisa le texte du soldat pour rédiger "La France et son Armée"  mais Pétain s'opposa à sa publication. Il finira par y consentir de mauvais gré et ce fut le début de la brouille entre les deux homme Pétain tenant de Gaulle pour "orgueilleux, ingrat, aigri "(sic) 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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