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Miscellaneous ...

divers sujets : personnels, histoire, littérature

TEL et les femmes

On a beaucoup épilogué (voire glosé) sur sa vie privée.  L'ayant tenue cachée, elle a beaucoup intrigué en son temps et après et encore aujourd'hui.

Pour ce que l'on en sait du moins, je prétends bien connaître le sujet ayant beaucoup lu sur lui (je dirais en long, en large, et en travers grâce à internet) et personnellement, en ayant fait le tri, je n'ai jamais cru à sa supposée homosexualité.

C'est un sujet délicat que je n'entendais pas aborder mais la découverte d'un nouvel ouvrage : "The boy in the mask - the hidden world of Lawrence of Arabia" par Dick BENSON-GYLES (The Lilliput Press) m'y incite. 

C'est donc de ce livre paru en 2016 dont je vais parler.

Et je le ferai aussi discrètement que possible ne m'attachant qu'aux faits réellement établis, écartant toutes les allusions et inventions  échafaudées à son sujet.

 

D'abord un mot sur l'auteur, Benson-Gyles. 

Diplômé du Trinity College de Dublin, il a commencé par être journaliste puis archéologue à Bagdad d'où il a voyagé extensivement dans le Moyen Orient et sur les traces de Lawrence.  Il est aussi commentateur à la Télévision.  Il vit actuellement à Plymouth dans l'Ouest de l'Angleterre.

                                                                               

 

J'écrivais précédemment à propos de Lawrence qu'on n'en finissait pas de revenir sur lui mais pour autant il ne s'agit pas ici d'un livre de trop. 

Pour reprendre la quatrième de couverture, l'auteur a concentré ses recherches sur deux points encore mal expliqués de la vie privée de Lawrence l'éclairant d'un jour nouveau. 

Dans une première partie, il  aborde son  héritage irlandais qu'il découvrit tardivement et, dans une seconde partie, sa rencontre en 1910 à Jbaïl au Liban avec Farida el Akel qui fut son professeur d'arabe mais plus encore, comme nous le verrons.

Ces deux faits certes ont déjà été cités et notamment dans l'énorme biographie de Jeremy WILSON mais n'étaient expliqués qu'au point où en étaient restées les recherches. 

 

Lawrence souffrit qu'on lui ait caché si longtemps qui était véritablement son père, 7ème et dernier Baronnet CHAPMAN, (1846-1919), ayant changé de nom pour vivre avec sa maîtresse Sarah LAWRENCE (née Jenner et hors mariage), gouvernante de ses cinq filles légitimes d'avec Edith Sarah HAMILTON,  et avec qui il eut cinq garçons dont lui, Thomas Edward, surnommé Ned. Déjà, alors âgé d'une dizaine d'années, il avait surpris une conversation de ses parents lui ayant fait comprendre que le couple était illégitime, ce qu'il garda secret.  C'est à la mort de son père seulement en 1919 à Oxford qu'il apprit sa véritable identité, à trente et un ans.

C'est une longue histoire mais déjà amplement commentée et je n'y reviendrai pas davantage pour m'attacher à la seconde partie du livre consacrée à Farida el Akel plus en rapport d'ailleurs avec mon titre de "Lawrence et les femmes". 

 

                                                                                        -oOo-

 

Au départ il convient de rappeler ce qui suit :

En 1910 alors qu'il venait de remettre le manuscrit de sa thèse au Jesus College d'Oxford (pour laquelle il obtiendra la mention très bien) chez lui, un soir où elle était en visite et s'étant trouvé seul avec elle, il fit à brûle pourpoint une demande en mariage à Janet Laurie une amie d'enfance. 

Tels du moins les dires de l'intéressée. Ils avaient joué ensemble vers sept huit ans  à Langley Lodge dans le Hampshire où vivaient alors la famille Lawrence très amie avec celle des Laurie leurs voisins.  Les Lawrence ayant par la suite déménagé pour Oxford, les deux familles avaient continué à se fréquenter, d'autant plus que Janet avait été mise pensionnaire à Oxford. Les jeunes gens tous deux étudiants d'Oxford se revoyaient donc souvent. Très surprise et embarrassée par cette déclaration mais se rendant compte qu'il était sérieux, elle rejeta sa proposition en riant. Elle n'avait jamais songé à lui autrement qu'en camarade et encore elle était plutôt attiré par son frère Will qui était grand alors que Ned était resté petit de taille.  Leur camaraderie n'en fut pas affectée pour autant, Ned n'en reparla jamais plus et ils continuèrent de se voir. Lawrence avait alors vingt deux ans et Laurie sensiblement du même âge.  Donc relativement jeune encore pour songer au mariage.  Mais il faudrait peut être rappeler ici un incident qui se produisit entre lui et sa mère alors qu'il avait dix-sept ans.  Cette dernière était du genre très stricte et possessive alors que Lawrence faisait déjà preuve d'indépendance et n'appréciait pas qu'elle s'introduise de plus en plus dans ses affaires privées. Faut-il aussi rappeler que vers l'âge de dix ans il avait appris par hasard l'illégitimité de sa naissance et celle de ses frères ce qu'il avait rigoureusement gardé pour lui.  Toujours est-il qu'après une dispute, Lawrence fugua pour aller s'engager comme enfant de troupe au plus proche bureau de recrutement d'où il fut affecté à Falmouth sur la côte des Cornouailles britanniques.  C'était une démarche insensée car il se retrouva lui, jeune  garçon distingué et bien éduqué, dans un milieu où la brutalité était de règle. N'y tenant plus au bout de quelques semaines il fit appel à son père qui le racheta. Cet incident ne resta pas anodin  car il marqua pour lui une distance d'avec sa mère et leurs rapports à la maison n'en furent qu'améliorés.

On peut penser aussi que par la suite cette jeune fille dont il s'était épris et à qui il proposa le mariage pouvait le libérer du milieu familial, le rendre complètement indépendant. 

Tel fut le premier amour de Lawrence.

Janet Laurie après la guerre épousa un officier de l'armée britannique et le couple eut plusieurs enfants.

Autre détail, très brièvement, n'en méritant pas plus,  avant de poursuivre :

Un peu avant la déclaration de guerre, Lawrence eut l'idée de créer une librairie avec une presse privée pour éditer des livres d'art s'associant pour ce projet avec un camarade d'université lequel était homosexuel. Il n'en suffisait pas plus pour certains d'en déduire qu'il l'était aussi (après sa déception amoureuse). Ce qui est absolument faux et que démontre clairement Jeremy Wilson dans sa biographie.  Un vulgaire ragot.

 

Revenons-en au cœur de notre sujet, savoir les relations de Lawrence avec les femmes et en précisant d'emblée qu'aucune  n'aboutit à une relation sexuelle. 

 

                                                                                               -oOo-

 

Nous sommes en 1911 lors du second voyage de TEL (lui-même utilisait ces initiales que j'emploierai désormais) au Moyen Orient.

 

De Juillet à Octobre 1909 il avait visité à pieds et étudié un grand nombre de châteaux forts de Syrie et Palestine afin d'étayer sa thèse qu'il rédigea au cours de l'hiver de la même année intitulée : Influence des Croisades sur l'architecture militaire européenne. Elle obtint l'année suivante la mention très bien à l'unanimité.

Au cours du mois d'Août 1909 étant de passage à Jbaïl (l'ancienne Byblos) au Liban il s'était présenté à l'école missionnaire américaine (Quaker) du lieu pour y demander l'hospitalité. Il y fut chaleureusement accueilli par la directrice et quelques personnes dont une certaine Farida el Akel, professeur d'arabe mais parlant aussi l'anglais et le français (que parlait aussi Lawrence). Il y demeura quelques jours avant de reprendre sa route et son programme de visites des châteaux francs déjà bien entamé.

Son passage dût forcément faire impression : ce jeune anglais de vingt et un ans mais en paraissant beaucoup moins,  voyageant seul, à pieds, pauvrement vêtu, un simple sac sur le dos, il y avait déjà ça, mais en plus ce regard bleu-gris, ses manières un peu excentriques et puis sa conversation animée et brillante déjà d'érudition ! Peut-être avait-il promis de repasser une fois présentée sa thèse ?  Peut-être aussi son regard gris-bleu avait-il croisé celui noir de Farida et que l'un et l'autre en aient gardé le souvenir ?

 

Mais les conditions de ce second voyage n'étaient plus les mêmes.  Passé sa thèse, il avait obtenu du Jesus College d'Oxford une bourse pour lui permettre d'effectuer des recherches à l'étranger sur un sujet de son choix.  Il avait opté pour la poterie médiévale du XIème au XVIème siècle et fort à propos car David Hogarth chargé de cours en cette discipline au Magdalen College et directeur de l'Ashmolean Museum  envisageait justement d'ouvrir un chantier de fouilles à Karkemish en Syrie du Nord. Lawrence et lui se connaissaient bien et Hogarth put lui obtenir une autre bourse plus importante et pour quatre ans afin de pouvoir participer aux fouilles.  On imagine TEL aux anges !

Embarqué le 10 décembre 1910 il débarqua à Beyrouth le 21 décembre après de brèves escales (Naples, Athènes, Smyrne et Constantinople).  Il alla loger à l'école de la mission américaine de Jbaïl qu'il connaissait déjà comme nous l'avons vu. Il y séjourna deux mois pour apprendre l'arabe (il n'en possédait que quelques rudiments) avec l'un des professeurs qu'il connaissait déjà, une libanaise de six ans plus âgée, Mlle Farida el Akle ce qui nous ramène au livre de Dick Benson-Gyles cité plus haut. Elle était née en 1882 à Brummana au Liban où s'était ouverte une école célèbre, la BHS (Brummana High School), par des Quakers américains. Personne instruite, cultivée, elle y était professeur d'Arabe, connaissant aussi l'anglais et le français, et devait y rester trente ans.  A l'époque de Lawrence elle se trouvait détachée à Jbaïl.

Au terme de ces deux mois d'étude de l'arabe syriaque à ses côtés, Lawrence rejoignit le chantier de fouilles archéologiques de Karkemish au nord de la Syrie, ancienne cité hittite à la frontière de la Turquie, proche de l'Euphrate sur lequel les Allemands construisaient le pont du chemin de fer Berlin-Bagdad. Mais leurs relations ne cessèrent pas pour autant. Ils s'écrivaient très souvent et se revirent à l'occasion.

Début 1911 Hogarth débarqua lui-même à Beyrouth d'où il vint visiter le site de Karkemish où il retrouva Lawrence et Campbell Thomson son chef de fouilles.

La première partie de ces fouilles étant achevée il pouvait rentrer en Angleterre et y attendre l'ouverture de la seconde partie prévue pour début 1912, mais il décida de rester sur place pour visiter des forteresses qu'il n'avait pas encore vues et les fouilles hittites de Tell Ahmar sur l'Euphrate. 

Atteint d'une grave crise de paludisme il fut soigné par un jeune ânier du chantier d'une quinzaine d'années surnommé Dahoum (alias Salem Ahmed) pour lequel il se prit d'amitié et chercha même à lui donner quelque éducation. 

A peine remis il décida de rentrer en Angleterre où il mettra plusieurs mois à se remettre.

Fin novembre 1911 il quitta de nouveau l'Angleterre pour rejoindre le chantier de Karkemish.

L'année 1912 fut fertile pour lui en déplacements. 

En Janvier il s'embarqua à Beyrouth pour le Caire rejoindre à cinquante kilomètres de là le camp de fouilles de l'égyptologue anglais  Flinders Petrie auquel Hogarth l'avait recommandé.  Ce fut pour lui un stage passionnant. Un mois plus tard il rembarquait pour Beyrouth faisant un bref séjour à Damas puis à Alep avant de rejoindre le camp de fouilles de Djerablous proche de Karkemish où l'attendait son nouveau chef Leonard Wooley et une équipe d'ouvriers arabes pour une nouvelle campagne de fouilles.  En cours d'année Hogarth vint inspecter les travaux. A l'achèvement de la première tranche, Wooley rentra en Angleterre mais Lawrence décida de rester sur place avec Dahoum pour excursionner dans le coin et visiter d'autres ruines historiques.  Pour plus de commodité et passer inaperçu en tant qu'européen, il s'habilla pour la première fois en arabe. 

Une crise de malaria les fit se replier sur Jbaïl à l'école de la mission américaine où Lawrence retrouva Farida el Akle avec laquelle il n'avait cessé de correspondre et où les deux jeunes gens purent se soigner et se reposer.  Lawrence en profita pour perfectionner son arabe (surtout pour la lecture et l'écriture) auprès de Farida. 

Mais ils durent retourner précipitamment à Karkemish car les Allemands qui construisaient la ligne de chemin de fer de Constantinople à Bagdad et qui passait par là voulaient détruire les murs de la cité hittite et en récupérer les pierres pour le pont sur l'Euphrate.

Les fouilles reprirent donc sur le site de Karkemish avec Wooley de retour d'Angleterre.

Lawrence alla passer les fêtes de Noël et du Nouvel An (1913) en Angleterre avant de rejoindre Karkemish pour une quatrième campagne de fouilles. 

Il repartit en Angleterre pour les mois de Juillet et Août 1913 mais cette fois accompagné de Dahoum et d'un contremaitre arabe du chantier, Hamoudi qu'il présenta à sa famille et amis et à qui il fit visiter un peu le pays, très remarqués car en costume arabe.

Retour en Syrie pour une cinquième campagne de fouilles avec Wooley.

En Janvier/Février 1914, Wooley en compagnie de Lawrence et de Dahoum partirent pour Gaza rejoindre le capitaine du génie Newcombe chargé par le gouvernement britannique d'une mission de cartographie (et d'espionnage)  du désert du Sinaï alors  territoire turc en prévision d'hostilités possibles avec la Turquie, la mission de Wooley d'y retracer l'itinéraire des Hébreux après leur fuite d'Egypte n'étant qu'une "couverture" de la mission officielle de Newcombe.

De Mars à Mai 1914 Lawrence entama sa sixième et dernière campagne de fouilles à Djerablous avec Wooley.  

Après l'attentat de Sarajevo (28 juin) qui allait déclencher la première guerre mondiale, TEL et Wooley rentrèrent en Angleterre pour y rédiger le rapport sur leur exploration archéologique du Sinaï qui sera publié sous le titre "Le désert de Sin" par le Fonds d'exploration de la Palestine.

NB - les sites de Djerablous et de Karkemish sont souvent confondus mais ils ne sont distants que de deux kilomètres et remontent à la même époque soit le IIIème millénaire avant notre ère.

Ainsi s'acheva la période "archéologique" de TEL. 

 

Mais entre-temps il n'avait cessé de correspondre avec Farida el Akel chaque fois qu'il en eût l'occasion du moins, ce qui fut rare au demeurant.

 

                                                                                                                         -                                                                  oOo-

 

Que savons-nous de Farida el Akel ?

Que nous apprend sur elle Dick Benson-Gyles qui l'avait rencontrée et interviewée au Liban  avant sa mort survenue en 1975 âgée de 93 ans ?

D'abord il entend bien tordre le cou à l'opinion selon laquelle TEL était homosexuel et détestait les femmes (devenu tel  depuis le refus de Janet Laurie ce qui l'aurait secrètement humilié et bloqué selon la même opinion).  

Mais il faut suivre l'auteur, restaurant en quelque sorte, face aux sceptiques, que même aux temps modernes peut encore exister un amour chevaleresque. Aux dires de l'intéressée elle-même, Lawrence et elle avaient éprouvé des sentiments l'un envers l'autre en dehors de centres d'intérêts communs, mais leur union était restée "d'âme à âme" (sic). 

Voici d'ailleurs ce que l'auteur écrit, citant Farida elle-même :

« Si je l'ai aimé ? Qui ne l'aurait pas aimé ! Je ne vous ai pas dit toute la vérité. Notre profonde amitié était fondée sur des valeurs spirituelles. C'était l'union d'une âme avec une autre âme. Lawrence vivait dans son esprit et non dans son corps. Il était magnifique. Cette expérience était édifiante pour moi. Vous m'avez demandé si je l'ai aimé. Ô qui aurait pu ne pas l'aimer ! À présent, Richard (Dick Benson-Gyles) je vous ai amené au cœur du sanctuaire de ma vie. Je voudrais vous demander que ce secret le reste. ».

Farida lui avait aussi confié que pour la St Valentin de l'année 1911 il lui avait offert une petite valise de voyage exprimant ainsi son désir de l'emmener avec lui en Angleterre. 

Et aussi, bien qu'il n'aimait pas être touché, qu'il l'aurait un jour entouré de ses bras (sic).  L'auteur attribue cette réticence physique à un sentiment de culpabilité en rapport avec sa mère extrêmement rigide bien que vivant en concubinage avec son père ce qu'il avait appris très jeune et qu'il avait rigoureusement gardé pour lui. Farida appartenait à la secte protestante américaine des Quakers elle-même assez rigoriste sur certains points, mais elle n'en était pas moins une femme évoluée, aurait-elle tant soit peu encouragé Lawrence dans cette étreinte que les choses auraient pu tourner autrement...  Enfin peut-être ?

Cet amour serait donc resté secret du vivant de Lawrence et même longtemps après.

Dernier point que soulève Dick Benson-Gyles, celui de la fameuse dédicace du poème liminaire des Sept Piliers, "To S.A." Le poète Robert Graves avait suggéré que derrière ces initiales se serait caché Farida.  Elle même l'a réfuté  (Lawrence lui avait envoyé copie de son poème): "Je ne suis pas S.A. TE n'est jamais tombé amoureux d'aucune femme, il ne le pouvait pas.  Il avait voulu que derrière S.A. se cache un mystère et pour moi c'était la Syrie-Arabie."

Plus généralement on a vu Dahoum derrière S.A., cet ami arabe qui mourut de fièvres peu avant la fin de la guerre,  symbolisant comme l'avait bien vu Farida le rêve de Lawrence pour les arabes d'un pays libéré (La riche demeure aux sept piliers, référence au livre des  Proverbes dans la Bible).

L'auteur rappelle aussi l'épisode de Deraa, vers la fin de la guerre, qu'a raconté en termes quelque peu voilés Lawrence lui-même dans ses Sept Piliers et qui après le choc psychologique autant que physique qu'il dût lui causer, devait définitivement l'éloigner de toute relation féminine "rapprochée" si j'ose dire.  Pour autant, certains auteurs prétendent que les choses ne se passèrent pas exactement comme Lawrence l'écrit mais on se demande sur quoi ils se basent pour cela.

 

Il est donc faux (du moins a priori) de prétendre qu'il était homosexuel (du fait surtout qu'il garda sa vie privée rigoureusement secrète et qu'il avait toujours vécu dans un monde d'hommes) mais disons "sexuellement empêché".

De retour en Europe, Lawrence continua de correspondre assidûment avec Farida. Et il eut même l'occasion de la revoir en 1926 à Paris où elle s'était rendue en tant que déléguée syrienne au Congrès International des Femmes.  Interrogée à son propos par des journalistes, elle déclara ceci : "Oui, j'ai eu le privilège de l'avoir connu personnellement". Elle fut très affectée d'apprendre son décès accidentel à quarante sept ans. Elle qui vécut jusqu'à 93 ans ! 

Dick Benson-Gyles a recueilli aussi par téléphone le témoignage d'une nièce maternelle de Farida, Olivia Sahyoun, encore vivante à Broummana (Liban).  Elle s'est souvenue que sa tante avait passé chez elle les quinze dernières années de sa vie et ne s'était jamais mariée mais avait accroché une photo de Lawrence au mur du salon.

La dernière lettre connue de Lawrence à Farida est datée du 28 Janvier 1927 depuis le Dépôt de la RAF à Karachi (Pakistan) où il avait été transféré. 

Voilà.

Tout est dit ou à peu près concernant Farida el Akel. 

 

                                                              -oOo-

 

Mais pour autant je n'en ai pas fini avec mon sujet.

Il faut citer maintenant le nom de Gertrude BELL qui rencontra  Lawrence pour la première fois en 1911 sur le site de Karkémish alors qu'elle achevait une expédition d'exploration en Syrie, Mésopotamie et Turquie. C'était déjà un personnage connu tant de la Société Royale de Géographie que du monde diplomatique, issue d'une riche famille d'industriels du Yorkshire, "féministe" avant l'heure, originale, un tantinet snob, très intelligente et cultivée dotée aussi d'un incroyable toupet (pour ne pas dire "culottée")  qui nomadisait à travers le Moyen Orient à travers cet empire ottoman qui n'était qu'une zone géographique sans frontières ni pays déterminés où seuls faisaient loi des clans et chefferies de différentes tribus. Bravant les difficultés, voire le danger, sans pour autant renoncer à  ses tenues vestimentaires et un certain confort au bivouac, elle n'avait pas froid aux yeux on peut le dire. Reçue sous la tente du célèbre chef de la tribu des Howétates Aouda Abou Tayi on l'avait surnommée la khatun (la Dame) et aussi à la fin the uncrowned queen of Irak comme on avait surnommé T.E.Lawrence uncrowned king of Arabia.   

Elle avait été impressionné par ce petit jeune homme lui servant de guide, sa façon hors norme de voyager et sa déjà grande érudition.

En 1915 le chef des renseignements de l'Amirauté britannique l'avait envoyée au Bureau arabe du Caire pour sa connaissance du Moyen Orient et celle de la langue et des tribus. Elle y retrouva Lawrence lui-même affecté depuis un an au service des renseignements militaires.  Elle s'était fort bien souvenu de lui.

Elle devait le rencontrer de nouveau à Paris lors des pourparlers de Paix en 1919/21, seule femme à assister aux conférences internationales.  Puis en 1921 au Caire lors de la Conférence pour les affaires d'Orient.  Au pied des pyramides à dos de chameau elle figure entre Winston Churchill et Lawrence sur une célèbre photo de famille. Une certaine familiarité s'était établie entre eux deux,  Gertrude l'appelait "my boy" (elle avait vingt ans de plus que lui) et Lawrence par son diminutif, Gertie.

Il est certain qu'ils s'appréciaient beaucoup d'autant que Gertrude Bell était elle même d'avis de donner aux arabes leur indépendance. Elle l'appuya et bien sûr l'émir Fayçal dans leurs revendications dans ce sens. Quand Fayçal fut proclamé roi d'Irak elle le suivit à Bagdad comme conseillère et y créa un musée archéologique national. Fayçal l'appréciait beaucoup, la comparait à Lawrence comprenant que l'un et l'autre avaient renoncé à leur rêve qu'ils partageaient avec le sien pour l'Arabie. Elle mourut à Bagdad en 1926 sans avoir revu l'Angleterre, à 58 ans, victime semble t'il d'une overdose de  somnifère.

Pas de correspondance connue entre Lawrence et Gertrude Bell sinon une lettre lors de la parution des Sept Piliers lui exprimant toute son admiration mais lui reprochant sa façon de se calomnier lui-même. Quasi-inconnue en Littérature, à l'encontre de TEL, alors que son nom était autant connu que le sien dans le monde diplomatique et politique de l'époque, elle n'en avait pas moins publié en tant qu'archéologue et ethnologue trois ouvrages qui sont autant de récits de voyages : Persian Pictures en 1894 à 26 ans sur son voyage en Iran et son séjour à Téhéran,  Syria : the desert and the sown (Le désert et les semailles) en 1907 à 39 ans, Amurath to Amurath en 1911 à 43 ans sur son périple en Mésopotamie. Elle écrivit aussi des centaines de lettres à sa famille principalement à son père tout au long de ses déplacements et séjours et jusqu'à sa fin à Bagdad (il est d'ailleurs possible de les consulter sur le site internet Project Gutenberg Australia) et qui sont passionnantes et documentées à l'instar de celles de TEL d'ailleurs.  Elle prit aussi plus de six mille photos.

On a parlé d'elle comme d'un Lawrence au féminin tant il y a de ressemblances entre elle et lui du point de vue caractère et de similitudes aussi dans leur action respective animée chez l'un comme l'autre par une passion pour l'archéologie et l'Orient.  Sur le plan sentimental, elle s'était éprise d'un jeune homme de l'ambassade britannique à Téhéran de dix ans plus âgé qu'elle et qui lui avait servi de mentor envisageant le mariage mais refusé par sa famille question de réputation.  Ce jeune homme du nom de Henry Cadogan devait décéder accidentellement peu de temps après. Plus tard, elle tomba amoureuse d'un militaire de bon rang, Richard Doughty-Wylie consul britannique à Damas  mais déjà marié et avec lequel elle entretint une correspondance passionnée mais restée sans conclusion ; il trouva la mort à la bataille de Gallipoli aux Dardanelles mais elle ne devait jamais l'oublier ni se marier. Sur ce plan là aussi on peut donc faire un parallèle avec Lawrence, "asexué" tous les deux en quelque sorte.  Elle n'éprouva vraiment sa solitude qu'une fois passée sa période de "bougeotte" en Orient à Bagdad capitale du royaume d'Irak mais elle refusa, même pressée par sa famille, de retourner en Angleterre pour assumer le rôle qu'elle pouvait encore jouer auprès de Fayçal. Et dans le fond, dans ses dernières années, solitaire et malade, elle reconnaissait aussi en Lawrence un frère.

L'Histoire du Moyen Orient a surtout retenu le nom de son homologue masculin, Lawrence, mais injustement au fond car son rôle géo-politique fut tout aussi important que le sien hormis sur le plan purement militaire.

Elle fût l'une des plus grandes aventurières du XXème siècle (cinq expéditions entre 1905 et 1914)

Je recommande ici la remarquable biographie de Christel MOUCHARD parue en 2015 sous le titre : Gertrude BELL Archéologue, Aventurière, Agent secret.

 

Ce qu'il faut bien se rappeler c'est que le nom de Lawrence était archi-connu en Angleterre dans le monde diplomatique puisqu'il avait participé à toutes les conférences et débats de l'après-guerre 14/18 largement commentés par la presse. Il avait des adversaires, voire quelques ennemis, mais aussi beaucoup d'amis des deux sexes séduits par sa personnalité originale. Retiré de la vie public, il n'en demeura pas moins en relation avec des personnalités du monde politique et diplomatique dont Winston Churchill n'était pas le moindre.  

 

 

Autre femme que Lawrence eut l'occasion de côtoyer et avec laquelle il entretint une correspondance suivie : Lady Nancy ASTOR

Celle-ci d'origine américaine s'était remariée au vicomte Waldorf ASTOR homme politique et patron de presse anglais mais lui-même d'origine américaine. Très belle femme brillante sans être particulièrement mondaine, originale, très engagé politiquement, elle avait été élue députée conservateur de Plymouth où TEL se trouvait encore affecté à la base de la RAF sous le nom de ROSS. S'étant rencontrés à l'occasion que nous verrons plus loin ils avaient sympathisé et elle était venu visiter la base.  S'en suivit entre eux une correspondance suivie. Lawrence a dit avoir apprécié chez elle sa gentillesse, son sens de l'humour, sa spontanéité mais un peu étourdi par sa nature assez volcanique.

 

 

Il me reste enfin à parler de cette autre femme qui compta beaucoup pour Lawrence, Charlotte SHAW, épouse du grand écrivain Bernard SHAW déjà cité.


Quand TEL entra dans l'intimité des SHAW en 1923 il venait de s' engager simple soldat dans un corps de blindés situé au camp de Bovington (devenu aujourd'hui Musée des blindés) dans le Dorset (sud-ouest de l'Angleterre). Abandonnant le nom de ROSS pour brouiller les pistes journalistiques,  il avait pris celui de T.E. SHAW, par hasard a-t'il prétendu, mais sans doute pas.  Le couple Bernard/Charlotte SHAW n'avait pas d'enfant et sans doute que l'ayant comme recueilli voire adopté dans la détresse où il se trouvait alors, il lui avait donné la permission de prendre leur nom.  Il allait passer ses permissions chez eux. Et puis SHAW était Irlandais et Lawrence avait appris qu'il l'était aussi au décès de son père. Thomas Robert Tighe CHAPMAN était né et avait vécu au manoir de South Hill près du village de Devlin, comté de Westmeath au centre de l'Irlande. Ses racines remontait à Sir Walter Raleigh, écrivain, courtisan et explorateur sous le règne d'Elisabeth Ière.  Ayant épousé Édith Sarah Hamilton d'une autre famille de propriétaire terrien du même comté, ils avaient eu quatre filles.  Ayant engagé une gouvernante écossaise du nom de Sarah Lawrence, T.R. Chapman s'était épris d'elle et l'avait mise enceinte de sorte qu'elle avait quitté la famille pour occuper un appartement loué par Chapman à Dublin où elle accoucha d'un garçon, le premier des 5 fils Lawrence.  Car ayant quitté femme et filles après la découverte de son infidélité il avait changé de nom pour celui de sa maîtresse, LAWRENCE sous lequel furent enregistrés les cinq garçons.   

 

  

Écrivain et auteur dramatique célèbre, Bernard SHAW d'origine irlandaise (comme Lawrence avait appris qu'il l'était aussi à la mort de son père) donnait une présentation de sa dernière œuvre dans la résidence londonienne de lord et lady ASTOR à St-James-Square et parmi les invités se trouvait  Lawrence.  Il s'agissait de "The Apple Cart", une sorte de comédie satirique, politique et philosophique, qui eut un grand succès.

Il  avait épousé en 1898 Charlotte Payne-Townshend elle même d'origine irlandaise, d'une riche famille du comté de Cork.  Engagée politiquement, elle faisait partie de la Fabian Society, un mouvement pour une démocratie sociale et la défense des femmes.  Bernard et Charlotte SHAW avait largement passé la soixantaine quand ils se rencontrèrent avec TEL en 1923.   Ce dernier préparait alors l'édition de son livre mais encore sur le coup de son changement d'affectation dans les blindés.  Très mal dans sa peau si tant est qu'il y fut jamais bien.  On peut dire que Charlotte seule personne à qui il osa se livrer tant soit peu, fut une confidente et une mère de remplacement ne s'étant jamais très bien entendu avec la sienne. Avant la guerre celle-ci avait suivi son fils William en Inde parti enseigner et elle devait s'occuper des pauvres dans un hôpital.  Ils rentrèrent en 1915, William pour s'engager. 

Charlotte SHAW déclara après la mort de TEL :

"Je crois qu'il aurai eu un large sourire à l'idée que quiconque le "materne".  Mais en fin de compte, c'était quelqu'un d'affreusement seul

Ce fut la relation la plus étrange que j'ai eue dans ma vie."

 

                                                               -oOo-

 

Ainsi je pense avoir fait le tour des relations féminines qui ont vraiment compté dans la vie de TEL.

D'aucuns ont voulu voir dans son échec auprès de Janet Laurie et le complexe de sa petite taille (pour un Anglais) la cause première de son éloignement des femmes, voire de sa "déviance".

Mais il y eût l'épisode Farida el Akel où il manifesta de l'amour pour elle mais resté platonique du fait de son blocage peut-être, mais aussi peut être faute d'avoir été encouragé dans son élan par l'intéressée qui au demeurant ne devait jamais se marier. 

Quant à l'épisode de Deraa (que certains ont nié qu'il se soit passé tel que TEL l'a raconté dans son livre), il fut irrémédiable quant à la possibilité d'une quelconque relation sexuelle avec une femme ayant suscité peut être une tendance homosexuelle déjà latente et à coup sûr un sentiment de culpabilité auto-entretenu qui ne le quitta plus et empoisonna le reste de sa vie.

On peut avoir beaucoup d'admiration pour ce personnage hors du commun, aussi doué et prometteur, comparable à un météore ayant traversé cette brève période de l'Histoire et éprouver en même temps à son égard une grande pitié, l'impression d'un immense gâchis.

 

 

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